Corps-esprit en unité – 3/3 – Le lâcher-prise
La persévérance apporte la fortune
Journée de méditation zen du 23 février 2014 à Narbonne
Enseignement de Pascal-Olivier Kyōsei Reynaud – troisième zazen
Patience et lâcher-prise
En zazen on ne se laisse pas reprendre par les pensées, par les ruminations, par les cogitations, y compris les pensées à propos du zen, à propos du bouddhisme ou bien sur l’enseignement. En zazen, on ne se laisse pas reprendre par les pensées mais on ne refuse pas non plus les pensées, on les laisse passer.
La manière de résoudre le koan de notre existence sur terre, de résoudre la question principale, la question qui peut sembler insoluble c’est de persévérer, c’est ce que l’on appelle en Japonais « Shojin », persévérer, continuer, aller de l’avant.
Même si l’on ne comprend pas, même si on pense n’arriver nulle part, même si on croit que l’on stagne constamment dans notre avidité et nos attentes, que l’on n’en voit pas le bout : « Shojin », c’est faire un pas après l’autre, c’est ne pas s’arrêter et ne pas se laisser décourager.
Il est normal et naturel d’avoir des attentes. Pour l’être humain, il est normal de vouloir obtenir quelque chose et de se donner tous les moyens pour obtenir cette chose. Il est inutile de s’en vouloir de refuser ou de regretter d’être comme cela.
Face à cette situation, simplement continuer la pratique et faire un pas supplémentaire.
Patienter et lâcher-prise.
La pratique nous amène à être au-delà de toutes nos catégories, elle nous amène à abandonner toutes nos notions d’effort ou de facilité, toutes nos notions de réussite ou d’échec.
Pour épuiser nos illusions, nos empêchements karmique et nos croyances cela peut prendre un certain temps. Il est important d’avoir confiance dans cette voie, confiance dans cette pratique, dans cet enseignement que nous approfondissons et confiance aussi que ces obstructions finiront par se dissoudre.
C’est la voie où l’on abandonne ce qui est en trop et qui nous empêchait d’être véritablement là. Il ne s’agit pas d’obtenir quelque chose que nous ne posséderions pas, mais de laisser tomber tout ce qui nous empêche de voir que c’est déjà là. Tant que l’on imagine construire ou obtenir quelque chose de sa propre force, de son propre effort ou en accumulant des mérites. Si on pense que « à force de patience, à force de pratiquer je finirais bien par comprendre ou obtenir quelque chose … », mais tant que l’on fonctionne ainsi on continue de fonctionner dans le domaine de la dualité et de l’avidité, du vouloir et du refus, de l’amour et de la haine. C’est précisément ce fonctionnement-là qui est obstruction, qui est empêchement, c’est le contraire du lâcher-prise.
Pratiquer zazen, pratiquer la méditation, c’est juste voir ce qui est et se mettre en état de réceptivité, d’accueillir ce qui est sans s’en saisir.
Le corps devient réceptif au lâcher-prise, du coup nos crispations, nos croyances, nos cristallisations se dissolvent également.
Le lâcher-prise n’est pas une question d’intelligence ou de compréhension, c’est une question de régularité et de persévérance. C’est comme un filet d’eau qui coule toujours au même endroit, goutte après goutte, jour après jours, saison après saison et qui traverse finalement les roches les plus dures.
Cela nous le réalisons spontanément, inconsciemment et automatiquement en zazen, en méditation.
On vient au dojo, on s’assoit, … une goutte.
On s’assoit en zazen, … une goutte.
On s’assoit en zazen, … une goutte.
…
Puis un jour zazen a traversé la roche de l’égo.
Mais ce n’est qu’un aspect, même cela, ce n’est qu’un aspect.
L’autre aspect, c’est de faire que nos actions tout au long de notre vie quotidienne expriment cette dissolution de l’égo, l’exprime vraiment et réellement.
Aucune réalisation, aucun éveil n’est réel, n’est véritable, s’il n’est pas partagé et actualisé.
Parce qu’au fond ce qui est réalisé, c’est que nous même et les autres ne sommes pas séparés, que fondamentalement nous sommes cette même chose qui n’est pas quelque chose.
Cette expérience c’est exactement ce dont parle Maître Ryokan dans ce poème :
« La lune est en moi et je suis la lune,
Il ne peut y avoir de différence
Puisqu’ils sont originellement indifférenciés.
Cette nuit la lune éclaire mon esprit comme elle illumine le ciel ».
Nous voici arrivées maintenant à cette dernière recommandation de Maître Dogen : « l’homme qui étudie la voie en recourant au zen, n’obtiendra l’éveil à condition qu’il se sache lui-même à mi-chemin ».
Pratique et réalisation sont une
Cela signifie que pratique et réalisation sont une et qu’il n’y a pas un endroit qui serait la fin de ce chemin. Finalement ce chemin est partout, en toute chose, à chaque instant. Celui qui chemine sur cette voie n’a ni endroit ou demeurer, ni rien à quoi s’attacher, aucun lieu où s’arrêter ni dans l’esprit ni dans le corps. C’est exactement pour cela que les moines zen sont appelés « Un sui – nuages et eau ».
Celui qui aspire à cheminer sur cette voie, à avancer sur cette voie, le fait dans la fluidité et par la pratique développe sa capacité à s’adapter aux circonstances et à la liberté de ne pas se laisser prendre ni rien retenir jamais.
Cette fluidité, cette capacité d’adaptation et cette capacité à abandonner son attachement aux choses, est possible car le pratiquant réalise que l’essence de son existence est vide. C’est-à-dire sans existence propre, séparée, mais qu’elle est le fruit de la transformation constante, le fruit de l’interdépendance.
Dans un de ses enseignements, maître Deshimaru parle de « Yuge zanmai », « Yuge » : s’amuser, jouer, se réjouir et « zanmai » : le Samadhi.
Les pratiquants du zen jouent dans le Samadhi, dans la réalisation, dans l’éveil.
La vie est un jeu éveillé que l’on se réjouit de vivre.
C’est ce que je nous souhaite aujourd’hui, de pouvoir continuer à jouer encore longtemps ensemble, de pouvoir continuer ensemble à nous réjouir de ce Samadhi vivant, de cette transformation constante.
Que nous puissions continuer à vivre la fluidité accueillante de cette journée et que nous puissions la partager avec les autres dans chaque action de notre vie.