Corps-esprit en unité – 2/3 – Le Bodhisattva
Les six pratiques parfaites du Bodhisattva
Journée de méditation zen du 23 février 2014 à Narbonne
Enseignement de Pascal-Olivier Kyōsei Reynaud – deuxième zazen
La pureté subtile de la voie vivante
Dans le Genjō kōan, maître Dōgen nous dit « étudier la voie, c’est s’étudier soi-même et s’étudier soi-même c’est s’oublier soi-même ».
Ce matin après le premier zazen, nous avons chanté, comme nous chantons à chaque cérémonie après le sutra de l’Hannya shingyo, les quatre vœux du Bodhisattva, ces quatre vœux sont d’aider les êtres à se libérer eux-mêmes, de résoudre ses illusions, d’étudier tous les enseignements et de réaliser l’éveil du Bouddha.
S’il doit y avoir une motivation à notre pratique, c’est bien celle-ci, c’est bien ces quatre vœux. Où que nous en soyons sur ce chemin, quelques soient nos caractéristiques, la grande chance qui nous est donnée dans cette vie est de pouvoir formuler ces vœux, c’est à dire d’avoir la chance de rencontrer la voie et de pouvoir formuler ces vœux altruistes.
Concernant l’action des Bodhisattvas, qui sont les personnes qui aspirent à l’éveil et qui désirent partager cet éveil, traditionnellement leurs manières d’agir dans le monde sont au nombre de six. Si on veut mener une vie éveillée et libéré on peut s’appliquer d’intégrer dans sa vie ces six pratiques que sont les paramita, les six pratiques parfaites d’un être d’éveil.
La première de ces pratiques est celle du don, de la générosité, c’est la première paramita.
Il est question de donner sans intention, sans attente et de pratiquer cette générosité autant que possible dans sa vie, à chaque occasion. Par exemple, ici et maintenant, de donner toute son énergie à la posture de zazen, à cette simple action d’être assis de la manière correcte.
La deuxième pratique des Bodhisattvas est d’appliquer dans sa vie ce que l’on appelle les 16 préceptes, les 16 règles de vie universelle qui sont la base de l’éthique. Nous aurons l’occasion de les détailler et commenter dans un autre enseignement.
La troisième pratique est celle que nous avons déjà évoquée ce matin : la patience. La patience est la qualité qui permet de traverser tous les obstacles et de résoudre tous les doutes.
La quatrième pratique c’est « Sho jin », l’effort juste. C’est le thème qui était proposé pour la journée qui nous réunit : effort et lâcher prise.
La cinquième pratique des Bodhisattvas est « Zen Jo », la concentration, qui permet de s’absorber totalement dans la pratique correcte de chaque instant, pas seulement dans la pratique de zazen, ne limitez pas la méditation à la posture assise.
La sixième et dernière pratique est « Chi e », la sagesse, qui est le fruit de l’union de la connaissance et de l’intuition et s’accompagne toujours de la compassion.
Concernant « Sho jin », l’effort juste, il y a l’idéogramme « Sho » qui signifie pur, subtil et « Jin », marcher, aller de l’avant, avancer sans cesse. C’est l’image de l’effort qui se répète inlassablement comme la marche ou comme la pratique de la méditation zen.
Tout en étant immobile nous avançons sans cesse dans la pureté subtile de la voie vivante. Nos corps incarnent cette voie et cette voie en retour nous éclaire et nous purifie.
Cet effort dont il est question, rejoins ce que nous disait Maître Yoka Daishi tout à l’heure, c’est l’effort qui est au-delà de notre effort personnel et qui inclut notre effort personnel.
Notre manière d’avancer sur la voie est de ne pas créer de trace, c’est un cheminement libre sur une voie ancienne que nous redécouvrons instant après instant. Mais ne vous trompez pas, cette voie n’est pas tracée devant nous, la voie est créée à chacun de nos pas.
Dans le « Gakudō Yojinshu » Maître Dōgen dit « il faut comprendre que nous devons fonder notre pratique dans ce monde d’illusion, dans notre univers karmique remplit de bonno et que nous devons obtenir la réalisation de sho, le satori avant même le satori originel ».
Cela signifie que l’éveil auquel nous aspirons existe avant d’être réalisé, cela chacun, ici et maintenant, peut le comprendre par le corps, réaliser cela permet d’enraciner notre pratique dans ce qui ne peut être saisit. C’est ce qui fait que notre pratique de la méditation est avant tout une pratique du lâcher-prise.
Pour Maître Dōgen l’état d’esprit avec lequel on aborde la voie est fondamental, l’état d’esprit qui est demandé au pratiquant qui désire s’engager sur cette voie et de pratiquer d’une manière complètement désintéressée. C’est-à-dire de pouvoir se libérer de son avidité, de toute cette habitude karmique du vouloir saisir.
Pour pouvoir contacter la dimension complètement désintéressée et pour être certain qu’il s’agisse d’un véritable lâcher-prise, il suffit comme nous le dit maître Yoka Daishi de « ne chercher ni à écarter les illusions ni à trouver la vérité ».
Ne pas perdre un seul instant
Il suffit simplement d’aller de l’avant avec un cœur pur.
Sans être naïf, le cœur pur ne créé pas de séparation entre le noble et le vulgaire, entre le spirituel et le matériel, entre l’illusion et la vérité. Le cœur pur désire simplement se rendre disponible à ce qui le dépasse et de se rendre capable à participer à l’harmonie universelle. Le cœur pur ne fuit pas l’effort et ne recherche pas le lâcher-prise.
Quand on vient pratiquer zazen, il ne s’agit pas de fuir ou d’éviter les difficultés, ni de les rechercher, mais si elles se présentent de pouvoir s’éveiller à partir d’elles au lieu de les refuser. Comme nous le rappelle Maître Dogen tous les aspects de notre vie sont notre pratique, tout ce qui nous constitue, tout ce qui nous arrive est l’occasion de pratiquer la voie et l’occasion de la partager avec les autres. C’est l’occasion de réaliser les quatre vœux du Bodhisattva. À la fois en comprenant l’exigence de ces quatre vœux et à la fois en les actualisant dans sa vie, dans son corps, dans sa parole, dans ses pensées et dans ses actions.
Le Gakudō Yojin shu a été écrit par maître Dogen à l’âge de 35 ans après son retour de chine en 1234. Dans ce texte il condense l’essence et la pratique de zazen. C’est ce texte qui a été commenté par maître Deshimaru qui va servir de fil conducteur pour aborder ce thème de l’effort et du lâcher prise.
De ce titre, Gakudō Yojin shu, Gaku signifie étudier, Dō la voie, Yojin prendre soin, faire attention et Shu recueil, texte. Maître Deshimaru le traduit donc par : « recueil de l’application de l’esprit à l’étude de la voie ».
Pour maître Dōgen, un des points important de ce texte qu’il met en lumière c’est cet esprit désintéressé, la capacité de se mettre en mouvement et de donner toute son énergie, sa vie, sans rien attendre en retour.
Un peu plus loin dans ce texte, Maître Dōgen dit : « Celui qui s’entraine dans la loi Bouddhique ne s’entraine pas pour lui-même, c’est seulement pour la loi Bouddhique qu’il lui faut s’entrainer ». C’est comme pour la marche en pleine conscience, Kin hin, on ne marche pas pour atteindre un endroit en particulier mais on réalise totalement chaque pas pour lui-même.
Lorsque l’on médite on pratique la méditation pour elle-même.
Dans notre société cela parait utopique de vouloir agir comme cela, rare sont les personnes qui comprennent la richesse de l’action désintéressée. Pourtant lorsque l’on agit ainsi nous sommes vraiment dans la dimension essentielle de l’existence et cela est la véritable richesse, c’est ce que nous réalisons et partageons dans l’alchimie silencieuse de cette pratique, instant après instant.
Lorsque nous abandonnons notre esprit dualiste et notre attachement à l’avidité, à ce moment-là nous réalisons directement, de tout notre être ce que nous sommes réellement. Cette réalité n’est pas quelque chose qui puisse être saisie ni possédée. La réalité s’écoule librement et se transforme constamment et c’est cette réalité de la transformation que nous partageons avec tous les existences.
>> lire l’enseignement de la première méditation assise (zazen) journée du 23 02 2014 à Narbonne
>> lire l’enseignements de la troisième méditation assise (zazen) journée du 23 02 2014 à Narbonne